Qu’est-ce que le Yoga de la Vie ?

Le titre de ce blog m’est venu assez facilement et ce, pour plusieurs raisons. J’ai grandi dans une petite ville en Normandie qui s’appelle Vimoutiers. Les racines de ce nom proviennent de « Vie Monastère ». Il y avait donc un monastère situé à côté de la rivière qui se nomme « La Vie ». D’autre part, mon prénom OLI VI A a été l’occasion pour certains de mes proches de m’appeler la vie, Olivia La Vie. Cette manière de me nommer correspond sans doute assez bien à ma personnalité ; curieuse, enthousiaste, allant de l’avant même dans les difficultés. Enfin, je ne conçois pas le yoga, en dehors du monde, loin de tout ; il fait partie de la vie. Mais on peut dire qu’il la transforme aussi, l’enrichit, la nourrit.
Je pratique le yoga depuis le début des années 2000. Je l’ai pratiqué en région parisienne, de manière assez occasionnelle au départ car mon travail (j’occupais des fonctions de directrice des services sociaux puis après j’étais en activité libérale avec un emploi du temps très irrégulier et de nombreux déplacements) ne me permettait pas d’être assidue aux cours. Quelques années après mon installation en Auvergne, j’ai décidé de m’engager dans une formation de professeure de yoga. Je n’avais pas du tout l’idée de devenir enseignante mais je l’inscrivais dans ma démarche globale de recherche personnelle et spirituelle. J’ai consulté deux formateurs d’enseignants de yoga sur la région de Clermont-Ferrand et j’ai choisi d’effectuer ma formation de 4 ans avec Philippe Marcoux. Le premier enseignant que j’avais rencontré ne m’avait parlé que de lui ! En revanche, Philippe est venu me rencontrer avec ses bols tibétains comme un prolongement de lui-même, m’a fait asseoir sur le sol et l’échange s’est déroulé en pratiquant dans une ambiance sonore et vibrante ! Cette entrée en matière directe m’a beaucoup intéressée. Aujourd’hui encore, je ne peux envisager d’animer un cours ou un stage de yoga sans être accompagnée de mes bols et cymbales tibétains. Ces sonorités et ces vibrations se sont inscrites durablement et profondément dans mon corps et dans mon Etre tout entier.
J’ai donc suivi une formation avec lui de 4 ans référée à l’école des natha et obtenu mon diplôme en 2012. Philippe Marcoux a suivi un enseignement de Christian Tikhomiroff, Président de la Fédération Française des écoles de yoga. Ce dernier a été initié au yoga par Iccha Nath, à Bénarès, en Inde. Il a traduit certains textes traditionnels comme le hathayogapradipika, la shivasamhita, le gorakshapaddhati, etc. et a publié en 2000 un livre sur les natha-yogis: « Le banquet de Shiva » (Ed. Dervy) nouvelle édition en juin 2013, ainsi que « l’aide-mémoire du hatha-yoga » aux Editions Médicis (2015). Je reviendrai sur les particularités du natha yoga mais d’ores et déjà, je peux souligner qu’il se réfère au tantrisme et que dans ce sens, les pratiques prônent la notion de plaisir, de prise en compte du corps, et mettent l’accent sur la respiration et l’éveil de l’énergie. Les postures sont tenues assez longtemps par la respiration. Je continue de compléter ma formation par des stages avec notamment Babakar Kane, Willy Van Lisbeth et Driss Benzouine que j’apprécie particulièrement notamment parce qu’il fait le lien entre le yoga et sa démarche de soufi.
J’ai commencé un peu par hasard à donner un premier cours de yoga alors que je n’avais pas terminé ma formation. J’ai reçu une demande de la part de personnes habitant Pierrefort, et d’abord hésitante, j’ai accepté largement encouragée par Philippe Marcoux qui pensait que c’était une bonne manière de progresser dans ma formation. Depuis, au gré des rencontres et le bouche à oreilles, les cours se sont multipliés. Aujourd’hui, je donne 9 cours par semaine dans la région de Saint-Flour, Murat et Pierrefort. Par ailleurs, j’organise des stages, ateliers et séjours à l’ermitage de Grandval près de mon domicile à Brezons. Je n’enseigne pas exactement le yoga que j’ai appris ! Je l’ai adapté et enrichi de mon parcours personnel, professionnel et de ma sensibilité. Ce qui caractérise je crois mes cours c’est une approche respectueuse des pratiquants, une écoute de leurs besoins. Mon yoga est intériorisé, à l’écoute des sensations du corps et laisse une large place à la respiration. Se respecter, être à l’écoute de son corps, de ses sensations, s’accueillir, s’habiter…se sentir respirer ! Rentrer dans sa maison, ralentir, s’arrêter un moment sur un tapis de yoga, pour pouvoir ensuite retourner dans le monde, vivre avec les autres, s’engager en se sentant plus disponible, voilà de mon point de vue, l’ambition du yoga.
Or, le yoga s’est transformé, s’est mondialisé au fil du temps ! Il est aujourd’hui pétri de nos modes de vie en Occident. Ainsi, répondant aux demandes d’individualisation, de performance, de compétition, il peut alors ressembler à de la gymnastique, à l’enchaînement dynamique de postures complexes et acrobatiques ! Le culte du corps peut y être présent. Ainsi, il n’y a pas « un » yoga mais « des » yogas, et autant de yogas que de professeurs de yoga mais globalement on peut identifier deux tendances de fond : la voie plus traditionnelle et une voie plus physique, technique et dynamique. Ces deux voies ont leur place. Si j’avais à me situer, je me situerai davantage du côté de la voie traditionnelle avec une aspiration spirituelle. La souplesse n’est pas un objectif mais une conséquence. On ne fait pas une posture mais on se rend disponible pour que quelque chose se passe ou se fasse. J’aime à convoquer dans mes cours des archétypes, des symboles…On devient la posture : l’arbre, le chat, le lion, le cobra !
Au fond, je considère que l’on peut venir au yoga pour toutes sortes de raisons et que ces raisons et motivations sont légitimes :
- Parfois l’entourage immédiat (le conjoint ou la conjointe, les membres de la famille, les amis et connaissances) peut mettre en difficulté certaines personnes dans leur envie de faire du yoga avec des moqueries qui n’encouragent pas la pratique régulière. Il faut alors assumer de suivre sa voie, se centrer sur soi en escomptant que les effets sur soi seront perceptibles par les autres et changeront leur manière de se comporter vis-à-vis de vous et du yoga.
- Il y a d’autres situations, de plus en plus fréquentes heureusement, où ce sont les proches qui encouragent la démarche et certains conjoints remarquent les signes de bienfaits chez l’autre.
La seule difficulté est sans doute d’accepter de prendre son temps, de s’installer, de se poser sur un tapis, une chaise… de prendre un moment pour soi. Avoir donc au fond de ses poches un peu de patience, de persévérance et beaucoup de curiosité. Ne pas attendre des résultats immédiats, la solution à ses problèmes de santé. Accueillir ce qui se présente.
Certaines personnes viennent au yoga pour :
- se maintenir en forme,
- d’autres par ce qu’elles se sentent stressées,
- d’autres enfin parce qu’elles sont à la recherche d’un sens à donner à leur vie…
Toutes ces raisons sont de bonnes raisons pour découvrir le yoga et s’y engager.
Alors, tout le monde peut faire du yoga : les enfants, les jeunes, les femmes enceintes, les personnes âgées, les personnes malades…les personnes en situation de handicap. Il y a très peu de contre-indications et de plus en plus de médecins orientent leurs patients vers des cours de yoga.
CONFINEMENT ET YOGA ?
Avec ma manie de cueillir les mots, je suis allée regarder le sens de confinement. Confinement[1] : participe surtout de l’idée d’enfermement d’abord dans le contexte pénal de l’emprisonnement (1579) puis dans celui de l’isolement d’un captif (XIXè). De nos jours, il indique surtout le fait d’enfermer et d’être enfermé dans certaines limites, concrètes ou, surtout abstraites. L’Etat d’urgence sanitaire décrété par le gouvernement le 17 mars dernier, pour lutter contre la propagation du Covid 19, se concrétise par une mesure « phare », celle du confinement. Il s’agit donc de rester chez soi, et de n’en sortir qu’à l’appui d’autorisations. Les conditions du confinement sont extrêmement diverses selon les contextes de vie et les lieux géographiques. On peut vivre un confinement plus confortable si on vit en campagne, à la montagne comme c’est mon cas. Mais il est des conditions plus difficiles si on vit en ville dans un petit appartement ou en studio avec plusieurs personnes ou avec des enfants ou encore dans sa chambre en Ehpad. Le confinement produit donc dans une perspective de santé publique collective, une limitation des libertés individuelles notamment celle d’aller et venir librement. Cela conduit à un bouleversement complet dans nos vies : dans l’ordre de nos priorités, besoins, manières de consommer et de se lier les uns aux autres… Mais, on le lit partout dans la presse, beaucoup de personnes se sont adaptées et ont développé des modes de vie et des modalités de relation inédites. La créativité déborde de partout ainsi que la solidarité et la fraternité.
Ce qui m’intéresse ici c’est la manière dont chacun peut faire l’expérience du confinement. S’il est obligations, enfermement, limitations il est aussi l’occasion d’intériorité. Comme je le dis souvent au début de mes cours de yoga, nous sommes invités à habiter notre maison, notre temple intérieur. Dans un temps qui semble s’être arrêté, où tous les jours peuvent se ressembler, où le cadre et l’horizon restent les mêmes, on est donc dans le face à face avec soi-même, confronté à ses possibles mais aussi à ses peurs et à ses limites. On pourrait comparer l’expérience du confinement à une retraite ou même à un jeûne et donc le vivre comme une épreuve, nous permettant d’aller, de descendre en soi, de se centrer, se rassembler, et, au final se régénérer. Mais le caractère imposé du confinement est sans doute une donnée qu’il convient de prendre en compte. Comme le souligne Jacques Vigne dans l’un de ses articles[2], la limitation de notre espace physique conduit à une accélération du mental, l’épreuve du confinement nous invite à lutter contre la dispersion, à nous apaiser. Nous procédons, poursuit-il à une recomposition extérieure vers l’intérieur. Un autre message, qui apparemment a beaucoup circulé sur les réseaux sociaux, de White Eagle de la nation hopi, exprime très bien, dans un contexte culturel toutefois très différent, cette expérience de l’épreuve du Soi. « Dans le chamanisme, il existe un rite de passage appelé la quête de la vision. Vous passez quelques jours seul dans la forêt, sans eau, sans nourriture, sans protection. En parcourant ce portail, vous obtenez une nouvelle vision du monde, car vous avez affronté vos peurs, vos difficultés… C’est ce qu’on vous demande.
Laissez-les profiter de ce temps pour effectuer leurs
rituels de recherche de vision.
Quel monde voulez-vous vous construire? Pour l’instant, voici ce que vous pouvez faire: la sérénité
dans la tempête (…). Établissez une routine
pour rencontrer le sacré tous les jours (…). »
Cette épreuve de confinement nous fait ainsi passer du ressentiment par rapport à une situation que nous n’avons pas choisi et dans laquelle nous ruminons, nous nous dispersons, à une situation dans laquelle nous nous recentrons, nous nous rassemblons. Comme dans toutes les épreuves, on en revient plus fort, riche, disponible, ouvert. L’acceptation de nos limites nous dit Jacques Vigne nous fait découvrir que nous sommes sans limite.
Mais cela ne va pas de soi ! Il n’est pas si simple d’arrêter les ruminations et l’agitation ! Jacques Vigne parle de boîte à outils. La méditation en est une.
Le yoga en est une autre. Dans « le Yoga Sutra de Patanjali » l’un des textes les plus anciens sur le yoga, le yoga est défini comme « l’arrêt des mouvements du mental ». Il est très difficile de se faire une idée claire du sens du mot yoga car le champ sémantique est extrêmement large. Dans une acception courante le mot yoga signifie « joindre ». Il s’agit d’unir le corps, le mental et l’esprit (approche de l’école de Sivananda). Le yoga serait donc propice pour calmer le mental et ressentir une sorte d’unité, un état paisible, comme la tranquillité d’un petit lac de montagne. Nous en faisons l’expérience à travers la respiration qui nous permet de nous sentir respirer, vivant. La connexion avec nos sensations à travers les asanas (postures) et le pranayama (énergie qui se dégage grâce à la respiration) est un puissant levier pour ressentir cette tranquillité profonde et l’unité.
Le yoga peut donc nous aider dans cette épreuve du confinement. Il nous accompagne dans la découverte de notre liberté intérieure. Enfin, je pense aussi à celles et ceux qui ne sont pas confinés, qui ne peuvent pas être confinés. J’ai beaucoup de soignants à mes cours de yoga, et l’une d’entres elles, m’écrivaient combien le travail pendant cette période était très pesant psychologiquement avec beaucoup de fatigue morale. Les pressions sont énormes et difficiles à gérer. Dans ces conditions, poursuivre une pratique de yoga devient difficile. Etre guidée à distance est très aidant.
Lorsque j’ai du suspendre mes cours de yoga, je me suis interrogée sur la manière dont je pouvais être utile auprès des personnes qui avaient l’habitude de venir à mes cours. J’ai alors pris la décision d’utiliser mon blog pour y proposer des séances, des pratiques, des vidéos et des enregistrements audio… Je me suis toutefois posée la question de savoir si l’utilisation de ces médias et nouvelles technologies ne trahissaient pas l’esprit du yoga ? Le Docteur Ronald Steiner et Anna Trökes dans leur livre consacré au « Yoga perfectionnement[3] », rappellent les six obstacles sur la voie du yoga se référant au Hatha Yoga Pradipika[4] (texte datant du XVè qui codifie les postures de yoga) « il existe six obstacles à la pratique du yoga : une nourriture trop abondante, des efforts trop violents, les bavardages inutiles, une frugalité extrême, la fréquentation excessive des gens, l’inconsistance de l’esprit ». Et les deux auteurs commentent en soulignant que « le bavardage et les contacts trop fréquents avec les gens- aujourd’hui par le biais du chat et des réseaux sociaux-ont pour effet de disperser l’énergie ».
Alors il nous faut donc inventer quelque chose d’inédit face à cette situation elle-même inédite. Dépasser la tension entre le risque de dispersion de l’énergie par le recours très, (trop ?) fréquent aux nouvelles technologies, et l’intérêt, la préoccupation de transmettre et de soutenir, à distance, les personnes confrontées à cette expérience de vie du confinement.
Je pense que c’est la façon dont on utilise les moyens de communication qui donne du sens. Est-ce qu’ils favorisent l’ancrage dans le corps, l’expérience du corps ressenti notamment avec le plaisir de respirer, ou bien, est-ce qu’ils renforcent le recours à l’activité mentale et la dispersion ?
Pour ma part, je suis attentive à
encourager la première orientation.
[1] Dictionnaire historique de la langue française.
[2] Jacques Vigne. Du confinement à l’infini : méditation pour des temps d’épreuve ou l’utilisation de méditations guidées sur internet en période de confinement. Consultable sur www.jacquesvigne.com
[3] Dr Ronald Steiner et Anna Trökes. Yoga Perfectionnement. Postures, anatomie, symbolique. Editions la plage 2014.
[4] Hatha yoga pradipika, I, 15