
INDE : du yoga et des ambiances.
Nous avons rendez-vous à 7h00 pour la séance matinale de yoga. Le jour s’est levé depuis peu. La salle se trouve au troisième étage de l’hôtel sur les toits. Là-haut, une grande dalle de béton fait toute la surface de l’hôtel. A droite de l’escalier, ce sont les quartiers d’habitation de notre serveur habituel. Je suppose que c’est ici qu’il dort dans des conditions que je devine sommaires. Nous le voyons de temps en temps le matin, faire sa lessive et étendre son linge. A gauche, la grande salle de yoga avec un toit en bac acier et des ouvertures, à l’aire libre, tout autour. Sarah nous explique que cette salle a été aménagée à la demande d’un professeur d’Ashtanga yoga allemand qui avait réservé l’hôtel sept années durant..
Le yoga est très présent à Kovalam souvent associé à une pachankarma c’est-à-dire une cure ayurvédique. En se promenant le long de la digue qui longe l’océan Indien et la plage, on peut voir un certain nombre de panneaux annonçant des cours de yoga et les horaires. Certaines affiches, toutes en anglais, aguichent le voyageur occidental en montrant le professeur dans des postures acrobatiques apparemment prisées. Sur d’autres on peut lire des slogans prometteurs. Les cours sont donnés par des indiens et aussi beaucoup d’occidentaux qui viennent avec leurs groupes ou qui vivent une partie de l’année à Kovalam. Il y a beaucoup de concurrence pour pouvoir dénicher une salle spacieuse et correcte. Le yoga est très en vogue! Au troisième étage donc du « Golden Sand », on domine Kovalam avec une vue sur les cocotiers, les palmiers, et, sur les jardins avec piscine des hôtels à proximité.
Allongés en Savâsana, encore un peu dans le coton du sommeil, on s’imprègne de l’Inde qui émerge tout autour de nous. Les moustiques rôdent aussi et sont prêts à « frapper ». J’ai pris mes précautions, et je ne suis pas la seule, car l’odeur d’huile essentielle de citronnelle se répand partout. Nous sommes entourés de corbeaux très bruyants et tapageurs, cognant un peu partout avec leur bec. Plein d’autres oiseaux également. En me redressant dans une position assise, je vois un écureuil sur le toit d’en face. Hier, c’étaient de magnifiques paons qui pavanaient sur les corniches. Les bruits et les vibrations de l’Inde : le quotidien qui prend le dessus. Des indiens qui font le ménage avec des balais fabriqués avec des végétaux, des gamelles que l’on remplit d’eau, des seaux que l’on vide. Toutes les petites mains de l’Inde qui s’affairent. Quelques odeurs de fumée et la chaleur que l’on sent monter avec le soleil. La séance va se dérouler dans le réveil de notre corps, étiré, allongé, déplié, en écho au réveil de l’Inde.
Puis en fin de journée, nous avons rendez-vous à 19H00 pour la séance de yoga du soir. Si l’ on arrive un peu plus tôt, la lumière est très belle, elle accentue la dominante rose de la pièce. Maintenant, les rayons du soleil sont rasants et la nuit va vite tomber. Toujours les corbeaux et les moustiques au rendez-vous ! C’est une cacophonie de bruits, de sons, une vraie marmite de vie qui n’en finit pas de bouillir. Nous avons en simultané, la musique et les voix provenant du temple situé un peu plus haut sur la colline, et la pop indienne, ou du disco occidental, distillés par l’un des restaurants plus bas. Tout cela co-existe. Des odeurs et des parfums de cuisine avec cette dominante d’épices.
Lors des premières séances, je suis étonnée que l’on puisse faire du yoga au milieu d’un tel bazar. Mais finalement, je me rends compte que ces pulsations, ces vibrations de vie, cet environnement sonore, tout cela me berce. Mieux je me sens me dissoudre dans ce tumulte. Nous sommes alors loin des clichés du yoga que l’on fait dans des ambiances silencieuses, recueillies. En Inde, j’ai l’impression de faire du yoga au milieu de tout le monde. Pas d’espace clôt, intime. Moi qui suis tellement attachée à disposer en France de salles retirées, propices au calme et à l’intériorité. Ce contraste me fait sourire.
Dans sa conférence du mois de janvier donnée à Paris avec Christophe André et Alexandre Jollien, Mathieu Ricard souligne dans son propos l’importance de l’écologie des lieux ; c’est-à-dire la manière dont les lieux nous inspirent, suscitent chez nous des états émotionnels, sensitifs particuliers. Quand je donne une séance de yoga à l’ermitage de Grandval, chez nous dans la vallée de Brezons, je ressens bien ce lieu niché, et tout son environnement qui s’ouvre plus haut sur les montagnes. Je sens ce blotissement, ce nichement du buron et cela résonne en moi ; je me relie à mon propre blotissement. De même si je fais du yoga dehors ou dedans, l’écologie du lieu agit différemment. Lorsque je suis sur la crête de la montagne, au col de la Pourtoune, et que je fais la posture de Garuda, l’aigle, je me vis alors dans cet oiseau, qui plane et qui vole au-dessus des montagnes, avec sa vision à la fois large et précise. Si les lieux sont porteurs d’énergie, ils sont aussi et sans doute des conducteurs de sensations.
Alors comment comprendre qu’au milieu des bruits et du vacarme de l’Inde je puisse me détendre, ne pas m’agacer du brouhaha, ne pas me disperser, mais au contraire me sentir me fondre dans cette vie tout autour ? Je pense que c’est une question de représentation. L’Inde s’est imposée à moi avec tout ce tumulte et bientôt je me suis faite à l’idée que la pratique du yoga s’écoulait dans le flot de cette vie. Je m’y suis abandonnée.
En y réfléchissant encore aujourd’hui, il m’apparait que l’idée que je me faisais de l’enseignement du yoga consistait à l’envisager dans des contextes paisibles et silencieux. Et qu’en suivant, les bruits qui surgissaient autour durant les cours étaient au pire tolérés et au mieux acceptés. Etant attentive au bien-être des pratiquants, je faisais moi-même des efforts pour ne pas juger ces bruits, ne pas « pester ! » Il y avait donc encore du chemin pour que ces bruits puissent être véritablement accueillis c’est-à-dire intégrés.. J’aurais donc fait en Inde une expérience et une découverte importantes, m’amenant à reconsidérer l’écologie des lieux de la pratique du yoga.
Le yoga n’est pas en dehors de la vie, replié mais il s’y mêle. Intégrer véritablement cette nouvelle représentation pour pouvoir ensuite s’abandonner.
